Cartographie des risques de corruption (SAPIN 2): pourquoi la mettre à jour dans le cadre de l’épidémie de COVID 19 ?

Partagez cet article :

Facebook
Twitter
LinkedIn

La loi sur la transparence, la lutte contre la corruption et la modernisation de la vie économique, dite « Sapin 2 », du 9 décembre 2016, qui s’applique notamment à toutes les entreprises a) ayant leur siège social en France, b) réalisant un chiffre d’affaires consolidé de plus de 100 millions d’euros et c) comptant plus de 500 salariés, vise à mieux prévenir et détecter la corruption au travers de la mise en place de huit obligations.

Parmi ces obligations, figure celle de mettre en place une cartographie des risques de corruption « prenant la forme d’une documentation régulièrement actualisée et destinée à identifier, analyser et hiérarchiser les risques d’exposition de la société à des sollicitations externes aux fins de corruption, en fonction notamment des secteurs d’activités et des zones géographiques dans lesquels la société exerce son activité. » (titre II, paragraphe 3 de l’article 17 de la loi précitée).

Encadré : les recommandations de l’AFA sur l’actualisation de la cartographie des risques de corruption

 

Les recommandations de l’AFA précisent que la cartographie des risques de corruption doit être « évolutive eu égard à la nécessité de réévaluer les risques de manière périodique, en particulier chaque fois qu’évolue un élément important de l’organisation ». S’il est par ailleurs indiqué que « la nécessité d’actualiser la cartographie est évaluée chaque année », cela n’implique pas que cette dernière soit effectivement révisée chaque année. L’AFA précise toutefois quelques circonstances qui doivent entraîner la mise à jour de la cartographie, telles que « l’évolution du modèle économique, de nouveaux processus ou leur transformation, un changement affectant l’organisation (exemples : mise en œuvre d’un nouvel organigramme, fusion-acquisition …), une évolution significative du contexte réglementaire ou économique. » 

 

Si la fréquence d’actualisation de ce document ne figure pas dans la loi, les recommandations émises par l’AFA (disponibles sur : https://www.agence-francaise-anticorruption.gouv.fr/files/2018-10/2017_-_Recommandations_AFA.pdf) précisent qu’une mise à jour de la cartographie des risques de corruption doit être réalisée en cas «d’évolution significative du contexte réglementaire ou économique », condition que nous pensons acquise dans le contexte actuel engendré par l’épidémie de COVID 19.  Il est ainsi fondamental de faire évoluer les cartographies existantes des risques de corruption, afin que ces dernières intègrent les évolutions probables consécutives à la pandémie que nous traversons et qui sont selon nous au nombre minimum de 5:

  1. Les risques de corruption auxquels sont exposées les entreprises devraient tout d’abord être en hausse en raison de la difficulté accrue pour nombre d’entreprises d’accéder à certaines ressources. En effet, il est très probable que des fournisseurs ne soient pas capables de répondre à l’ensemble des besoins exprimés par leurs clients « entreprises ». Cette « crise de l’offre » pourrait ainsi découler sur des schémas de corruption du type « je te rémunère de manière occulte si tu me garantis que j’aurais en priorité accès aux ressources disponibles » (une telle proposition pourrait également bien sûr être à l’initiative des fournisseurs).
  2. Par ailleurs, de très nombreux contrats de type clients/fournisseurs sont en train de faire l’objet de renégociations significatives (portant sur les montants à payer, les délais de paiement, les délais de livraison, la continuité des services, l’invocation de la force majeure…). De telles renégociations viennent accroître « mécaniquement » les risques de corruption dans la mesure où tout élément susceptible d’être négocié entre au moins deux parties peut faire l’objet d’un pacte de corruption. Cette augmentation des risques est par ailleurs ici aggravée selon nous par i) l’urgence de la situation (on doit négocier vite, la vitesse étant souvent l’ennemi de la bonne application des procédures de contrôle existantes) ; ii) le caractère critique probable de certaines renégociations (il n’est pas impossible que ces dernières puissent aller jusqu’à remettre en cause la continuité d’activité des fournisseurs, notamment de certaines PME et ETI).
  3. En outre, les entreprises se présentent ou vont se présenter dans les semaines et mois qui viennent aux « guichets » ouverts par les gouvernements à travers le monde, leur donnant accès à des dispositifs publics d’aides directes et/ou indirectes (subventions, dispositif de chômage partiel, reports d’échéances, prêts bonifiés…). Cette situation risque d’entraîner une hausse significative des risques de corruption d’agents publics que ce soit au niveau :
  • de la décision d’attribution des aides,
  • de la vitesse d’attribution des aides,
  • des montants attribués.
  1. D’autres décisions publiques, telles que l’annulation d’évènements, l’interdiction de regroupements de plus de X personnes dans un même lieu, la fermeture de tels commerces (mais pas de tous), sont également susceptibles de faire l’objet de pactes de corruption instaurés aux bénéfices des décideurs publics (nationaux et/ou locaux).
  2. Certaines sociétés vont enfin connaître une baisse (très) significative de leur chiffre d’affaires. Pour celles qui opèrent en B2B, les risques de corruption liés à l’obtention ou au renouvellement de contrats clients pourraient ainsi fortement augmenter. Cela sera d’autant plus vrai que ces sociétés :
  • imposeront à leurs commerciaux « de se refaire » avant la fin de l’année,
  • ont mis en place des mécanismes « criminogènes » de rémunération variable de leurs forces commerciales (rémunération variable non limitée, critères quantitatifs uniquement, critères individuels uniquement,…),
  • sont dépendantes d’un nombre restreint de clients,
  • sont dépendantes d’agents commerciaux dont la seule rémunération est basée sur la signature de nouvelles affaires,
  • étaient dans une situation financière déjà complexe avant la crise.

L’ensemble de ces évolutions devraient ainsi selon nous figurer dans des cartographies de risques de corruption « révisées ». Au-delà de l’évolution des risques, il est également fondamental selon nous d’adapter en conséquence les dispositifs de prévention et de détection (dispositifs qui doivent être présentés dans la cartographie des risques). Le tableau ci-dessous rappelle certaines « bonnes pratiques » qu’il conviendra sans doute de mettre en place ou de renforcer dans les semaines qui viennent, si les effets de la crise que nous traversons sont destinés à perdurer/s’accroître.

Risques Meilleures pratiques à mettre en place ou à renforcer
1.     Difficulté accrue d’accès aux ressources ·      Impliquer systématiquement a minima les départements financiers et juridiques dans les négociations « d’urgence » menées avec les fournisseurs (lorsque le prix des biens a explosé, qu’il est très difficile de trouver les biens requis…).

·      Contractualiser tout complément de prix qui vous ferait passer en priorité par rapport à d’autres clients.

·      Rappeler les règles en vigueur dans votre société relativement aux cadeaux offerts. Formaliser une règle interdisant TOTALEMENT (pendant plusieurs mois) tout cadeau ou invitation offert aux fournisseurs.

2.     Renégociations significatives des contrats ·      Impliquer systématiquement a minima les départements financiers et juridiques dans TOUTE révision ayant un impact significatif.

·      Assurer la traçabilité des modifications significatives réalisées (en les centralisant par exemple dans un tableur Excel). Présenter l’ensemble de ces modifications significatives à votre conseil d’administration ou de surveillance.

3.     Recours à des aides d’état ·      Se renseigner sur les contrôles exercés par l’état sur les aides attribuées (avant et après l’attribution).

·      Etablir la liste des personnes autorisées à échanger avec les agents publics en charge de l’attribution des aides (si des questions doivent être posées).

·      Limiter les interactions avec ces agents publics au maximum (la majorité des aides étant visiblement basées sur des dossiers administratifs à compléter, ne nécessitant pas forcément d’échange avec les agents publics). Privilégier les interactions avec des conseils (avocats, banquiers…) en cas de questions.

4.     Autres décisions publiques liées à la pandémie (ex : annulation d’évènements) ·      Formaliser une politique de lobbying (traitant notamment des cadeaux et invitations offerts aux agents publics, de la tenue d’un registre des rencontres réalisées, des règles d’emploi d’anciens agents publics…).

·      Etablir la liste des personnes autorisées à parler avec les décideurs publics. Les former « en urgence » aux règles de lobbying applicables en France et à l’étranger (pour la France, voir : https://www.hatvp.fr/espacedeclarant/representant-dinterets/ressources/#post_6789).

5.     Baisse significative du chiffre d’affaires ·      Modifier temporairement les contrats de travail des commerciaux les plus « à risques » (par exemple en transformant la rémunération variable prévue en salaire fixe à hauteur de X% du variable prévu initialement).

·      Ajuster à la baisse les objectifs commerciaux 2020 au plus vite.

ou communiquer massivement sur le fait de ne pas vouloir réaliser « à tout prix » l’objectif 2020 initial.

·      Renforcer les contrôles mis en œuvre sur les avoirs émis/les remises (afin d’identifier d’éventuels avoirs indus). Faites-les par exemple systématiquement valider par le département financier dès qu’une annulation de chiffre d’affaires dépasse X Keuros.

·      Renforcer le suivi des marges par commercial/client/contrat (afin d’identifier d’éventuels avoirs indus).

·      Renforcer les règles applicables en matière de cadeaux et invitations offerts.

 

Partagez cet article :

Facebook
Twitter
LinkedIn