Passons des prévisions à l’action !

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Article publié initialement dans Le Cercle Les Echos

Les entreprises passent un temps considérable à faire des prévisions, mais pour quelle efficacité ?

Les entreprises passent un temps considérable à faire des prévisions, que ce soit en interne, notamment dans le cadre du processus budgétaire et du Forecast, ou bien en externe pour répondre aux nombreuses demandes de parties prenantes (actionnaires, analystes, banquiers, régulateurs…) toujours plus exigeantes en matière de prévisibilité des performances futures des sociétés. Cette tendance, si elle est loin d’être récente, s’est toutefois accentuée depuis plusieurs années.

Parmi les facteurs explicatifs, on peut notamment citer le modèle dominant d’évaluation des entreprises (la fameuse méthode des DCF) qui repose sur l’actualisation de flux futurs de trésorerie, le développement des normes IFRS, qui laisse une place également importante aux techniques d’actualisation, la possible volonté des régulateurs d’anticiper au mieux les difficultés à venir de sociétés dont ils ont en charge la supervision (la faillite frauduleuse d’Enron et d’autres a laissé des traces…), la multiplication des parties prenantes des entreprises, un appétit moindre pour la prise de risques… Tous ces facteurs (et sans doute bien d’autres encore) sont à l’origine de développements réglementaires qui vont dans le sens d’une communication accrue des entreprises sur le futur.

La norme IAS 37 stipule ainsi que les sociétés doivent fournir dans leurs annexes une information sur les passifs éventuels qui se définissent notamment (la définition complète est plus longue) comme « une obligation potentielle résultant d’événements passés et dont l’existence ne sera confirmée que par la survenance (ou non) d’un ou plusieurs événements futurs incertains qui ne sont pas totalement sous le contrôle de l’entité.

Dans le même esprit, depuis le premier semestre 2008, et conformément à la transposition de la directive européenne « Prospectus et Transparence », dans l’article L.451-1-2 du code monétaire et financier, les sociétés cotées doivent notamment publier un rapport financier semestriel comprenant des comptes condensés pour le semestre écoulé, présentés, le cas échéant, sous forme consolidée.

Le contenu de ce rapport a été défini dans l’article 222-6 du règlement général de l’AMF qui stipule que « le rapport semestriel d’activité indique au moins les événements importants survenus pendant les six premiers mois de l’exercice et leur incidence sur les comptes semestriels. Il comporte une description des principaux risques et de principales incertitudes pour les six mois restants de l’exercice ».

Distinction importante, et que l’on oublie trop souvent, un risque est un événement se situant dans le futur qu’il est possible d’évaluer (en terme de probabilité), ce qui n’est pas le cas d’un événement incertain. Les risques (évènements placés dans le futur par définition) ont également pris une place considérable dans les informations publiées par les sociétés cotées : on les retrouve dans la section « facteurs de risques » des documents de référence, dans le rapport du Président sur le contrôle interne et la gestion des risques…

Compte tenu de cet essor très important d’informations à caractère prospectif, il pourrait être intéressant de s’interroger sur la fiabilité des processus de prévision non ? Il se trouve que quelques personnes l’ont fait (de manière scientifique), et le moins que l’on puisse dire c’est que les résultats ne sont pas très brillants. P. Tetlock a ainsi étudié (voir http://www.newyorker.com/archive/2005/12/05/051205crbo_books1?currentPage=all) pour une présentation assez détaillée de sa méthodologie) plus de 80 000 prévisions effectuées par plus de 200 « experts » au niveau mondial sur plus de 10 années. Quels sont ses résultats ? Ces experts sont à peu près aussi compétents que « l’homme de la rue » pour effectuer des prévisions (c’est-à-dire globalement plutôt très mauvais).

Dans sa célèbre étude sur les prévisions budgétaires relatives aux grands projets d’infrastructure (voir : http://flyvbjerg.plan.aau.dk/JAPAASPUBLISHED.pdf), le professeur B. Flyberg a quant à lui démontré que les coûts budgétés de tels projets étaient systématiquement sous-évalués dans des proportions allant de 20 % à près de 45 % (en fonction du type de projet considéré [route, rail…]. Ce qui est particulièrement intéressant ici c’est que ces prévisions, en sus d’être fortement erronées, le sont toujours dans le même sens [comme c’est le cas également souvent pour les prévisions de déficit des états – voir http://www.nytimes.com/interactive/2010/02/02/us/politics/20100201-budget-porcupine-graphic.html?_r=1&].

Quelles sont les explications fournies ? Tout d’abord, nous sommes TOUS victimes de ce que les psychologues appellent le biais de surestime de soi [overconfidence en anglais]. Nous nous surestimons de manière systématique dans tous les domaines de l’existence [conduite, beauté, intelligence…] et notre capacité à effectuer des prévisions n’échappe pas à cette règle. Par ailleurs, nos prévisions sont souvent biaisées du fait du conflit d’intérêts dans lequel elle nous place en général : vous souhaitez convaincre votre patron d’obtenir des fonds pour votre nouveau projet ?

Vous avez tout intérêt à dire que vous avez mis toutes les chances de votre côté et que votre probabilité d’échec est quasi nulle [ce qui est souvent faux, par exemple le Standish Groupe estime que près de 30 % des projets informatiques se traduisent par un échec, et on estime également par exemple que près de 50 % des acquisitions d’entreprise détruisent de la valeur]. Si vous ajouter à cela que i) les entreprises font évoluer plus rapidement les optimistes que les pessimistes (c’est prouvé) ii) que les personnes qui se trompent sont rarement (voire jamais) rappelées à leurs bons souvenirs iii) que beaucoup de personnes tirent leurs ressources de leurs prévisions, alors il n’est pas difficile de comprendre pourquoi nous semblons toujours adorer cet exercice.

Dans ce contexte, il serait sans doute pertinent d’accorder moins d’importance au futur et de se focaliser davantage sur le présent. Comme le disait un célèbre entraîneur américain quand il fût questionné sur le fait qu’il ne portait pas de montre pendant les matchs de son équipe « je ne porte pas de montre, car je sais toujours l’heure qu’il est. Il est MAINTENANT, et maintenant c’est le moment d’agir ».

Pour aller plus loin, voir « gestion des risques et contrôle interne : de la conformité à l’analyse décisionnelle [Vuibert 2013]. Sur Amazon à : http://www.amazon.fr/Gestion-risques-contr%C3%B4le-interne-d%C3%A9cisionnelle/dp/2311004999/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1366890294&sr=8-1&keywords=frederic+cordel.

En savoir plus sur http://archives.lesechos.fr/archives/cercle/2013/04/29/cercle_71525.htm#kdfA85YAgHKog8ao.99

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